Invité exceptionnel de RFI et France 24, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, affirme qu’au sujet de la situation au Mali, « la communauté internationale n’a aucun intérêt à rester divisée alors que les groupes terroristes savent harmoniser leurs actions ».
Dans son entretien à RFI et France 24, Ramtane Lamamra espère qu’il y a « encore de l’espace pour la raison et pour que des démarches laissent la place à la communauté internationale afin qu’elle assume ses responsabilités ». Et il annonce que l’Algérie est prête à organiser un dialogue fraternel entre le Mali et la Cédéao. Par ailleurs, le chef de la diplomatie algérienne constate qu’après leur brouille d’octobre 2021, l’Algérie et la France sont « dans une phase ascendante, laborieusement ascendante ». Il n’exclut pas que l’Algérie autorise à nouveau le survol de son territoire par des avions militaires français.
Marc Perelman: Je vais commencer par la situation au Mali et au Sahel plus largement. La France et ses partenaires européens disent sérieusement envisager un retrait militaire. Est-ce que la perspective vous inquiète ou pas du tout?
Ramtane Lamamra: L’Union africaine devrait pouvoir disposer des moyens et faire preuve de la volonté politique nécessaire pour apporter des solutions africaines aux problèmes de l’Afrique. A défaut, il est naturel que des solutions alternatives, comme celles qui ont prévalu jusqu’à présent, puissent avoir lieu, de sorte que les groupes terroristes ne fassent pas qu’une bouchée de ce pays si névralgique pour la paix et la sécurité de toute la région.
J’espère qu’il y a encore de l’espace pour la raison et pour des démarches qui puissent être respectueuses de la souveraineté nationale du Mali, et également qu’elle puisse laisser place à la communauté internationale pour qu’elle assume ses responsabilités sur la base de mandats du Conseil de sécurité des Nations unies, du Conseil paix et sécur ité de l’Union africaine. Je veux dire qu’il y a des solutions autres que les faits accomplis.
Florence Morice: Des sources diplomatiques africaines affirment que votre pays aurait laissé passer des avions militaires russes remplis d’hommes et d’équipements. Est-ce que c’est le cas ?
R. L.: Si des avions russes, des avions français, des avions chinois ou autres survolent le territoire algérien, cela ne constituerait absolument pas un évènement de nature politique.
F. M.: Donc, il n’y a pas d’opposition, de votre part en tout cas, à acheminer des troupes et du matériel russes et éventuellement des mercenaires vers le Sahel ?
R. L.: Je ne suis pas sûr que la qualification de « mercenaires » soit consensuelle. Je ne dis pas que je préfère tel ou tel point de vue mais, en répondant à votre question, je ne voudrais pas que l’on comprenne que moi, je le reprends à mon compte. En l’occurrence, ce que je vous dis, c’est que ce sont des épiphénomènes par rapport au principe.
Le principe, c’est que l’Algérie n’est pas en faveur du déploiement de forces étrangères sur le continent africain, tout en respectant le droit souverain des Etats concernés de faire appel à des formes d’assistance, de la part de partenaires internationaux.
M. P.: La junte malienne a proposé une transition maximum de 5 ans, puis de 4 ans. L’Algérie est venue avec une proposition de 16 mois. On sait qu’il y a des négociations. Pensez-vous qu’on va pouvoir trouver un compromis acceptable par tous, parce qu’on sait que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ne veut entendre parler que de 6 à 10 mois ?
R. L.: Depuis que l’Algérie a fait ces propositions, nous attendons toujours que le gouvernement malien et que les instances compétentes dirigeantes de la Cédéao nous disent leurs disponibilités à participer à un dialogue fraternel que l’Algérie est disposée à organiser.
M.P.: Le 29 janvier, après plus de 3 mois de brouille diplomatique, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune se sont parlé. Est-ce que cela veut dire que la brouille est désormais terminée ?
R. L.: Nous sommes aujourd’hui dans une phase ascendante, laborieusement ascendante, parce qu’il y a un grand nombre de difficultés dans cette relation bilatérale.
M.P. : Est-ce que vous allez autoriser à nouveau les avions militaires français à traverser l’espace aérien pour se rendre au Sahel ?
R. L. : Il s’agit d’une mesure technique qui n’a pas vocation à durer éternellement. Des ponts de la coopération algéro-française sont en train de se remettre en place.
M.P.: Donc, là, vous êtes en train de nous dire que cela va être rétabli ou que c’est en train de l’être ?
R. L.: Je pense que c’est une compréhension correcte de ce que j’appelle la phase ascendante de la relation algéro-française.
F.M.: Si les relations semblent se réchauffer avec Paris, ce n’est pas le cas avec Rabat. Certains craignent même qu’on se dirige vers une guerre. Est-ce que c’est votre cas aussi ?
R. L.: Il y a des problèmes dans la région. Mais, rassurez-vous, l’Algérie ne fera la guerre qu’en cas de légitime défense. L’Algérie a trop connu les affres de la guerre coloniale justement pour souhaiter s’engager dans une confrontation armée avec un pays voisin.